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Les maraîchers s’enracinent dans le sud de l’Aude (1/3)

Posté le 16 février 2021
Voici le premier article du "Média des Bonnes Nouvelles" pour causes communes 11, par Aurélien Culat

À Quillan, l’appétit des clients dope les légumes bio

Les initiatives se multiplient pour combler le manque de production maraîchère du département. De Carcassonne à la Haute-Vallée de l’Aude, magasins bio, associations et structures d’accompagnement à l’installation sont sur le pont pour enraciner de nouveaux producteurs. Première étape de notre enquête : la coopérative bio Terre Mère, à Quillan, qui a dédié une parcelle à un jeune en installation pour garnir ses rayons.

Dans la serre de David, les tomates commencent juste à rougir, avec un mois de retard. Mais le magasin ne lui a pas fixé d’objectifs de production pour sa première année d’installation. ©Aurélien Culat
Dans la serre de David, les tomates commencent juste à rougir, avec un mois de retard. Mais le magasin ne lui a pas fixé d’objectifs de production pour sa première année d’installation. ©Aurélien Culat

Le soleil s’est déjà élevé au dessus des contreforts des Corbières, de l’autre côté du fleuve. Dans la serre de David Cancouet, la température est encore supportable pour quelques heures. Le maraîcher s’active, finissant d’arroser des plants, préparant sa débroussailleuse, vérifiant les attaches des tomates sur leurs fils. Fin juin, le maraîchage est une course contre la montre. Le montage de la serre en avril m’a mis un mois de retard, j’aurais dû planter les tomates plus tôt, explique le fondateur du Jardin aux Mille Bourraches. Mais ça y est, j’ai fait ma première livraison de tomates ! Là, j’ai les tétons de Vénus qui sont prometteurs. J’ai une quinzaine de variétés. Côté concombre, ce sont des Telegraph et des Tanja qui quitteront leurs godets pour la pleine terre ce matin. De long des deux serres, une large bande cultivée s’étire jusqu’à l’Aude. Les courges sont magnifiques, ça fait plaisir ! Puis les courgettes aussi ! Hier j’en livré 35 kilos.

Le transport n’a pas été compliqué : le magasin qui achète la production de David est situé à 30 mètres du potager ! Assurer l’approvisionnement de ses rayons en légumes ultra-locaux : voici ce qui a guidé la coopérative Terre Mère dans la mise à disposition du terrain fertile qui jouxte le magasin, en bord d’Aude. Répondant ainsi au déficit chronique de production maraîchère en Haute-Vallée, un territoire de plus de 40 000 habitants alimenté par une poignée de producteurs.

C’était mon rêve, je m’étais dit « si on jour je reprends un magasin, ce sera dans la nature et il y aura de la terre pour cultiver », explique Philippe Maisonnier, gérant de la coopérative, qui a ouvert son magasin en mai 2016 à deux kilomètres de Quillan. Un premier maraîcher a déjà cultivé ces terres en partenariat avec la coopérative, avant de recentrer ses activités sur sa propre ferme. Les 2500 mètres carrés cultivables, rarement inondés et en légère pente vers le fleuve, sont directement irrigués par ses eaux. Ils ont permis à David, qui habite Quillan, de s’installer sans investissements lourds. Je voulais m’installer vers Foix, je cherchais de l’argent mais je tournais en rond, explique-t-il. Je faisais des budgets prévisionnels à 50 000 euros. C’est à ce moment-là que j’ai entendu parler d’ici. Ça m’arrangeait, il y a moins de 10 000 euros d’investissement, c’est un peu inespéré en agriculture ! Il n’a fallu acheter que le matériel, les serres et le système d’irrigation mis en place par le maraîcher précédent, ce qui a été fait en partie via un financement participatif. Le loyer du terrain, dont une partie appartient à la mairie, représente 35 euros par an. Il faut que je rembourse mes investissements, mais en minimum deux ans, c’est bon ! assure David, qui ne se voit pourtant pas prendre racine durablement sur ce terrain, et rêve de sa propre ferme : A terme ce n’est pas mon rêve parce que je ne peux pas habiter ici, mais pour 5-6 ans c’est bien, ça me permettra d’acquérir une bonne expérience.

Le Jardin aux Mille Bourraches : le tapis bleuté que fait cette plante compagnonne des cultures en recouvrant une partie du terrain a inspiré à David le nom de sa petite exploitation. ©Aurélien Culat
Le Jardin aux Mille Bourraches : le tapis bleuté que fait cette plante compagnonne des cultures en recouvrant une partie du terrain a inspiré à David le nom de sa petite exploitation. ©Aurélien Culat
Inauguré en mai 2016, le magasin de la coopérative Terre-Mère s’est donné pour mission de relocaliser au maximum ses approvisionnement. ©Aurélien Culat
Inauguré en mai 2016, le magasin de la coopérative Terre-Mère s’est donné pour mission de relocaliser au maximum ses approvisionnement. ©Aurélien Culat

Pour Terre Mère, il s’agit aussi de répondre à une demande croissante : Quand les produits de notre maraîcher arrivent sur les étals, ils partent tout de suite ! assure Philippe Maisonnier. Il y a une demande très forte en produits de proximité. Et de proximité immédiate, car même les produits de l’Aude ont moins de succès. Les clients voient le jardin, ils voient vraiment la relation au producteur, ils savent qu’il y a un circuit très court. La proximité redonne une confiance et un sens qui s’est perdu dans les tuyaux de l’alimentation mondialisée : On a eu du mal à écouler les fraises nationales, mais quand les fraises locales du plateau de Sault sont arrivées, on a tout écoulé très facilement ! Je pense que David envisage d’en faire pour l’an prochain.

La production locale est loin de suivre l’appétit des clients : En pleine saison, on peut arriver à monter à 30 % de l’offre, avec les légumes d’été très demandés produits ici, en complémentant avec des produits de l’Aude, comme les melons et les pastèques, que David n’a pas le temps de développer, explique Philippe. Nous avions aussi des pommes de terres, oignons et carottes du plateau de Sault, des légumes plus spécifiques de cette région. Certains légumes ont du mal à pousser dans notre région, on peut pas couvrir les besoins à 100 %. Mais on a 50 à 70 % des légumes qui pourraient pousser ici. Il y a besoin de plus de surface. Il nous faudrait au moins 3 David ! Pas de pression cependant pour le maraîcher, qui travaille à son rythme et selon ses principes : Je suis libre pour le plan de culture, assure-t-il. Il y a seulement des clients qui m’ont demandé du céleri-branche. J’en ai essayé un peu et il n’est pas vilain, mais il n’est pas bien gros !

La relocalisation de l’approvisionnement répond aussi à une question de logistique, apparue crûment lors du premier confinement. On s’est rendu compte que la production locale, c’est vraiment la première demande qu’on pourrait avoir, raconte Philippe. On se serre les coudes, on raccourcit les circuits de distribution. Là, les transporteurs ont réussi à jouer le jeu, mais il y a eu quelques petits problèmes d’acheminement. C’est une priorité que les élus devraient mettre en avant. De fait, certains s’en chargent : le Conseil Départemental a ainsi mis l’augmentation de la production maraîchère locale au centre de son futur Plan Alimentaire Territorial, après avoir réalisé un inventaire des circuits courts du territoire. La question d’une rupture des chaînes d’approvisionnement et des troubles sociaux qui pourraient en découler commence aussi à faire son chemin, encouragée par les travaux de Stéphane Linou, ancien élu à Castelnaudary.

Des affichettes dédiées à la production ultra-locale viennent de faire leur apparition dans le magasin, répondant à une demande des clients. ©Aurélien Culat
Des affichettes dédiées à la production ultra-locale viennent de faire leur apparition dans le magasin, répondant à une demande des clients. ©Aurélien Culat
Origine France, locale et ultra-locale : pour ce même produit, les clients ont le choix (au même prix), et leur préférence se porte nettement sur la production de David, distante d’environ 50 mètres. La proximité donne confiance. ©Aurélien Culat
Origine France, locale et ultra-locale : pour ce même produit, les clients ont le choix (au même prix), et leur préférence se porte nettement sur la production de David, distante d’environ 50 mètres. La proximité donne confiance. ©Aurélien Culat

De leur côté, Terre Mère et deux magasins Biocoop (Floreal à Limoux et Tourne-Sol à Carcassonne) se sont associés pour recenser leurs besoins. Résultat : ces magasins pourraient écouler chaque année 11 tonnes de fruits et 137 tonnes de légumes actuellement fournis par des centrales d’achat. De quoi installer 8 maraîchers-arboriculteurs, sur 9 hectares de culture. L’antenne départementale de la SAFER, l’organisme chargé de favoriser la transmission des terres agricoles et l’installation de nouveaux venus, est partie de ce constat pour mener une vaste étude afin de trouver des terres disponibles. C’est le début d’un chantier compliqué et vital pour qu’à Quillan, comme ailleurs dans le département, de nouveaux légumes locaux viennent garnir les étals.

Aurélien CULAT